Les prévenus concernés par l’aide à l’entrée et au séjour irrégulier de leurs compatriotes ont d’abord été relaxés de ces chefs d’accusation, échappant ainsi aux dix ans d’interdiction de territoire français requis par le parquet. Thomas COEX / AFP
Des filières amenaient en France des faux demandeurs d’asile pour récupérer la carte de paiement fournie par l’État. D’après l’enquête, la fraude dépassait les 500.000 euros. Mais, relaxés sur plusieurs volets, la plupart des condamnés s’apprêtent à sortir de détention provisoire.
L’asile en France était leur gagne-pain. Jeudi 20 octobre, douze membres de deux filières d’immigration illégale, originaires pour la plupart d’Ukraine et de Moldavie, ont été jugés par le tribunal correctionnel de Melun. En exploitant une faille dans le dispositif d’asile en France, les malfrats auraient extorqué 562.695 euros au contribuable français, selon l’enquête.
Les prévenus concernés par l’aide à l’entrée et au séjour irrégulier de leurs compatriotes ont d’abord été relaxés de ces chefs d’accusation, échappant ainsi aux dix ans d’interdiction de territoire français requis par le parquet. Les condamnations pour escroquerie s’échelonnent-elles entre 6 mois avec sursis et 3 ans dont un avec sursis. La plupart des condamnés s’apprêtent à ressortir, ayant purgé en détention provisoire leur peine.
La fraude reposait sur le versement indu de l’Allocation aux Demandeurs d’Asile (ADA), accordée à toutes les personnes qui déposent un dossier auprès d’une préfecture. Auprès du Figaro, Didier Leschi, directeur de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) revient sur le mécanisme utilisé : «Ces individus amenaient des Moldaves ou Ukrainiens afin de déposer une demande d’asile en France. Ils les ramenaient ensuite au pays, mais conservaient la carte, et retiraient l’allocation» accordée. L’allocation dépend de la situation du demandeur d’asile : enfants à charge, prise en charge du logement, etc. Les montants varient le plus souvent entre 200 et 800 euros par mois. Le budget national prévu pour l’ADA en 2022 est de 491 millions d’euros.
Une carte de paiement
Selon nos informations, les étrangers étaient convoyés jusqu’en France, et amenés dans un squat en Seine-et-Marne, le temps d’organiser les rendez-vous en préfecture. Ils étaient ensuite réembarqués vers l’Ukraine ou la Moldavie. Dans l’intervalle, la France les avait équipés d’une carte bleue… que les filières récupéraient pour leur compte. «Depuis 2019, pour lutter contre les fraudes, nous utilisons une carte qui ne permet pas le retrait d’espèces en distributeur», ajoute Didier Leschi. Les délinquants avaient néanmoins trouvé une parade, en faisant des demandes de retrait dans les tabacs ou à la Poste. Il est parfois possible d’y passer une commande, puis de gonfler le montant payé et d’obtenir en retour de l’argent liquide. Une opération de «cash back», comme la nomme le ministère de l’Économie, destinée principalement aux zones rurales, où les distributeurs se raréfient.
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L’enquête de l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre (Ocriest) a établi un préjudice total de 562.695 euros. L’argent a été dépensé sur place, mais aussi renvoyé vers l’Ukraine et la Moldavie, par des prestataires du type Western Union. «Le zèle et la fréquence de ces transferts, souvent en incohérence avec les activités de ces personnes, dans des agences postales différentes et éloignées pour ne pas attirer les soupçons, attestent du caractère frauduleux», avait déclaré le procureur, cité par l’AFP.
La défense salue une «belle décision»
Me Vera Goguidze, avocate d’une prévenue ukrainienne, reconnaît une «escroquerie constituée» mais remet en cause auprès du Figaro le montant des détournements établi par l’enquête : «N’ayant pas de documents précis, les policiers ont fait un tableau dans lequel ils ont énuméré les cartes ADA saisies, et le montant versé sur ces cartes. La juge d’instruction a additionné ces chiffres pour arriver au préjudice. Sauf qu’on n’a jamais demandé le relevé des sommes effectivement retirées», qui aurait constitué, selon l’avocate, une évaluation précise de l’escroquerie. «Ma cliente envoie et reçoit 33.000 euros en 2020. Mais si on parle de préjudice, c’est la seule preuve. Il faut dégonfler ce dossier qui a été artificiellement gonflé, avec des cartes non utilisées, ou utilisées après l’interpellation des prévenus», résume-t-elle.
Me Philippe Ohayon, autre avocat de la défense, salue une décision «qui constate les insuffisances du dossier» : «On n’avait aucune idée du préjudice en réalité. Le délibéré prend en considération la gravité des faits et la réalité de ces personnes qui ont profité d’une faille sans vraiment s’enrichir». Sur les accusations d’aide au séjour irrégulier, l’avocat cite le contexte géopolitique en Ukraine «impossible à ignorer», dont la suppression des visas pour les Ukrainiens vers l’UE en 2017. Enfin, «l’énorme mea culpa [d’un des prévenus] en audience a pu influer sur la décision». Contacté, le parquet de Melun n’a pas encore communiqué sa décision concernant un éventuel appel.
source: Figaro
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