Nouvelles révélations sur les mécanismes de censure utilisés ces dernières années par Twitter
Selon l’enquête journalistique portant sur les dessous de Twitter, des «listes noires secrètes» ont été établies pour limiter l’audience et la visibilité de certains comptes, notamment chez les conservateurs et critiques des restrictions sanitaires.
La série des «Twitter files» continue, avec la publication le 8 décembre d’un deuxième volet de révélations par les journalistes Bari Weiss et Matt Taibbi sur les méthodes ayant eu cours au sein de la firme californienne, avant le rachat de celle-ci par Elon Musk.
A nouveau sous la forme d’un longue série de tweets, Bari Weiss a présenté le résultat des investigations, un temps ralenties par le directeur juridique, licencié entretemps. En examinant les documents internes, les deux journalistes américains avancent que des équipes de Twitter ont établi des «listes noires» empêchant certains tweets, jugés indésirables, d’être diffusés, et limitant activement la visibilité de comptes entiers ou même de certains sujets d’actualité, le tout sans jamais en informer les utilisateurs.
Parmi les usagers visés par ces mesures figurent des personnalités telles que Dan Bongino, l’animateur d’un talk-show conservateur (censuré par Youtube par ailleurs), le docteur Jay Bhattacharya, qui avait critiqué les confinements mis en place pendant la crise sanitaire, ou encore l’activiste conservateur Charlie Kirk.
Le compte de Dan Bongino était ainsi étiqueté comme faisant partie d’une «liste noire», tandis que les tweets de Jay Bhattacharya ne pouvaient plus apparaître dans les «tendances» du réseau, diminuant leur visibilité. Le compte de Charlie Kirk était quant à lui estampillé de la mention «ne pas amplifier».
Une politique de «filtrage de la visibilité» déployée au plus haut niveau
Selon Bari Weiss, ces mesures s’inscrivaient dans le cadre d’une politique globale de «filtrage de la visibilité» mise au point par les équipes de la plateforme, soucieuses de contrôler l’audience d’une série de comptes et de décider de la réduire, parfois jusqu’à l’invisibilisation complète. Des responsables de l’entreprise avaient pourtant affirmé en 2018 qu’ils n’utilisaient pas cet outil d’invisibilisation, aussi connu sous son appellation anglophone : le «shadow ban». «Vous serez toujours en mesure de voir les tweets des comptes que vous suivez […] et nous ne pratiquons certainement pas de “shadow ban” fondé sur des points de vue politiques ou une idéologie», avaient alors indiqué Vijaya Gadde et Kayvon Beykpour sur le blog de l’entreprise.
Ladite politique de limitation ciblée d’audience était assurée par une première équipe dénommée «Strategic response team-Global escalation team», qui traitait jusqu’à 200 cas par jour, détaille Bari Weiss. Mais, plus haut dans l’organigramme, une «équipe secrète» dédiée à «l’intégrité» et à la «politique d’escalade» du réseau («Site integrity policy, Policy escalation support», SIP-PES) aurait supervisé en dernier ressort ces mesures, et aurait compté parmi ses membres les responsables juridiques et de la sécurité, ainsi que les anciens CEO Jack Dorsey et Parag Agrawal.
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«C’est au sein de cette instance qu’ont été prises les décisions les plus importantes et les plus politiquement sensibles», avance Bari Weiss, en citant le cas du compte conservateur «Libs of TikTok». Si ce dernier a été suspendu à plusieurs reprises, une note de l’équipe SIP-PES a pourtant indiqué qu’il n’avait pas enfreint les règles du réseau concernant les discours de haine en ligne, ce qui suggèrerait une intervention de nature plus politique.
Après la publication de ces nouveaux éléments, plusieurs personnalités conservatrices, dont Dan Bongino, ont souligné que leurs soupçons sur la politique de censure visant leur camp politique en particulier se voyaient confirmés, après avoir été écartés par leurs adversaires «libéraux» comme relevant d’une «théorie du complot».
Elon Musk n’a évidemment pas tardé à réagir, en profitant pour préciser les changements qu’il entend apporter au fonctionnement du réseau social. «Twitter travaille sur une mise à jour qui montrera le véritable statut de votre compte, afin que vous sachiez clairement si vous avez été invisibilisé, la raison pour laquelle cette décision a été prise et comment faire appel», a-t-il écrit quelques heures après avoir partagé le dernier volet des «Twitter Files».
«La vérité apporte la réconciliation», a-t-il ajouté dans un autre message, en annonçant également un grand nettoyage des comptes inutilisés sur le réseau.
La politique de Musk évoquée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU
Porteur d’une vision radicale de la liberté d’expression, le patron de Tesla et de Space X a de longue date fait part de son souhait d’assouplir la politique de modération des contenus sur Twitter, ce qui a suscité des inquiétudes, notamment en Europe. Le 8 décembre également, le président du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Federico Villegas, s’est inquiété de voir un «entrepreneur privé de décider de ce qui est dangereux et incite à la violence et à la haine», plaidant en faveur de la mise en place de règles communes aux réseaux sociaux sur les limites de la liberté d’expression. Il a en particulier fait écho au cas du rappeur américain Kanye West, dont Elon Musk a suspendu le compte le 2 décembre après la publication d’une image représentant une croix gammée entrelacée avec une étoile de David, ainsi que de propos admiratifs envers Adolf Hitler.
Mi-novembre, Elon Musk a précisé que les messages «haineux» ou «négatifs» verraient leur visibilité limitée «au maximum» et qu’ils ne pourraient pas être une source de bénéfices pour Twitter, tout en restant cependant accessibles si l’utilisateur souhaite y accéder. Ce fonctionnement ne serait ainsi, selon lui, «pas différent du reste d’Internet».
Dès avant la publication des «Twitter files», qui doit se poursuivre d’après les annonces de Bari Weiss et Matt Taibbi, le manque de transparence de la plateforme sur les critères conduisant à la suspension ou à la restriction des comptes, ainsi que sur les voies de recours à disposition des utilisateurs, avait fait l’objet d’une série de critiques.