TRIBUNE. Incompréhensible ! Alors que Haïti 🇭🇹 était “membre associé à part entière” de l’Union africaine depuis 2015, son adhésion a été refusée.

0

Haïti dans l’Union africaine : un rêve évanoui ?

Tout avait pourtant bien commencé entre Haïti et l’organisation panafricaine. Dans un premier temps Haïti avait pu obtenir le statut de pays observateur lors du sommet de l’Union africaine tenu du 23 au 30 janvier 2012, à Addis-Abeba, en Éthiopie. À cette occasion, la République caribéenne dépose sa candidature pour devenir membre de l’organisation. Saluée par les applaudissements et les vivats des chefs d’État africains, cette requête débouche quelques mois plus tard sur l’obtention d’un statut de membre associé.

« Haïti, c’est l’Afrique dans la Caraïbe »

En janvier 2014, Laurent Salvador Lamothe, Premier ministre haïtien de l’époque, bénéficie d’une tribune lors du 22e sommet de l’UA. Il joue de son éloquence pour que le processus d’intégration s’accélère. Le voilà qui touche l’institution panafricaine au cœur en déclarant que « Haïti, c’est l’Afrique dans la Caraïbe » et souligne que ses compatriotes restent « des Africains dans leurs âmes, dans leurs cœurs et dans leurs mœurs ». De quoi penser à la fin de l’événement que l’entrée de Haïti au sein de l’UA en tant que membre à part entière n’est plus qu’une question de temps. L’année suivante, en 2015, l’organisation lui confère le statut de « membre associé à part entière ». Certaines rumeurs annoncent même une cérémonie pour juillet 2016. Dès le début de l’année, plusieurs médias relaient l’information et dans la tête de nombreux observateurs, Haïti est considéré comme déjà membre à part entière de l’Union Africaine.

Le choc du démenti du porte-parole de l’Union africaine

Le choc est donc brutal lorsqu’en mai, le porte-parole de la présidence de l’UA déclare que « l’information est erronée » et que la « première République noire » ne pourra pas devenir membre de l’organisation parce qu’elle ne se situe pas sur le continent africain. Tout en brandissant l’article 29, alinéa 1 de l’acte constitutif de l’UA qui stipule que seuls les États africains peuvent adhérer en qualité de membres effectifs. En ajoutant que tant que ce texte ne sera pas modifié pour ouvrir les portes de l’organisation à des pays extra-africains, Haïti garderait son statut d’observateur. Le rêve et les espoirs de 10 millions d’Haïtiens guidés par leur très panafricaniste président Michel Martelly se sont donc brusquement évanouis dans le fracas d’un motif aussi stupéfiant qu’incompréhensible tant le processus d’intégration était bien engagé.  

Afro-descendance, diaspora et panafricanisme : des notions remises en question

Cette situation replace clairement Haïti au même niveau que n’importe quel autre pays non africain d’autant que les États-Unis et la Chine avaient également le statut d’observateur lors du sommet de 2012. Lors du sommet qui devait officialiser l’adhésion d’Haïti en juillet dernier à Kigali, les questions au premier plan ont porté essentiellement sur l’élection du nouveau (de la nouvelle) président (e) de la Commission et sur le retour du Maroc dans l’organisation. Curieusement, la question de l’adhésion est apparue comme renvoyée aux calendes grecques faisant fi de tout ce que Haïti avait fait pour marquer son appartenance africaine.  

Haïti, une histoire à rappeler 

Haïti s’est libérée de l’esclavage et a pris son indépendance par la force en 1804, face à la meilleure armée de l’époque, celle de Napoléon Bonaparte. À ses débuts, la jeune République, seule contre le reste du monde, ne s’est pas faite discrète, et ce, d’autant que sa naissance n’a pas du tout plu aux grandes puissances européennes. Haïti a non seulement lutté pour l’abolition de l’esclavage, mais aussi contre les injustices faites dans les autres pays du monde. La perle des Antilles s’est alors érigée en pays libérateur et solidaire des peuples opprimés.

À la fin du XIXe siècle, la voix d’Haïti était une voix de raison alors que le racisme était théorisé ici ou là. Rappel doit être fait ici des travaux de Joseph Anténor Firmin qui, dans son ouvrage De l’égalité des races humaines : anthropologie positive, a pris le contre-pied de la quasi-totalité des travaux anthropologiques de son temps. Haïti se dresse donc tout naturellement contre le processus de colonisation de l’Afrique. Dans ce contexte, organiser la rupture de la communication entre Haïti et le continent noir est un enjeu majeur pour les colons, car les révoltés de la Caraïbe ne doivent pas inspirer et donner des idées d’émancipation aux peuples africains.

Haïti, un attachement à l’Afrique jamais démenti


En dépit de toutes les difficultés qu’elle a pu rencontrer tout au long de son existence, la nation haïtienne n’a jamais tourné le dos à ses origines africaines. Plus encore, elle n’a jamais perdu une occasion de défendre les intérêts des peuples africains. Le fait d’être la seule nation de la SDN (Société des Nations, ancêtre de l’ONU) à exprimer sa position avec autant fermeté contre le projet d’invasion de l’Éthiopie par Mussolini dans les années 1930 illustre bien cette tendance. L’africanité d’Haïti s’est vérifiée une nouvelle fois pendant la Seconde Guerre mondiale, car le pays a consenti des efforts diplomatiques importants dès 1945 pour l’avènement d’États africains libres. Haïti s’est aussi illustré en Afrique par ses prises de position progressistes contre la guerre d’Algérie, par son soutien à l’indépendance de la Libye sous domination italienne, et par son assistance au Rassemblement démocratique africain, grande formation politique panafricaine qui a accompagné nombre de pays du continent vers la souveraineté internationale. D’ailleurs, aux premières heures des indépendances africaines, une partie de l’intelligentsia haïtienne s’est installée sur le continent pour contribuer à l’édification des jeunes nations. Ainsi, au Sénégal, en Guinée ou encore au Congo-Kinshasa, actuelle RD Congo, de nombreux enseignants, médecins et ingénieurs haïtiens se sont retroussé les manches du côté de Dakar, Conakry ou Léopoldville (actuel Kinshasa). C’est cet engagement et cette loyauté dont a toujours fait preuve Haïti envers les pays du continent africain qui ont contribué à rétablir une communication un moment rompue.

L’Afrique, une réalité socioculturelle pour Haïti

L’écrasante majorité de la population haïtienne est d’ascendance africaine. Le pays a conservé un vaste héritage culturel africain. Ainsi du vaudou, mais aussi de la nourriture, de l’art, de la musique, des tenues vestimentaires traditionnelles, autrement dans ce qui fait l’âme d’un peuple. On retrouve cette africanité jusque dans sa langue, le créole haïtien, seul créole reconnu comme langue officielle à ce jour, qui regorge de consonances africaines.

La solidarité africaine : une réalité tangible

En retour les pays africains se montrent généralement très solidaires vis-à-vis d’Haïti. Selon le journal afro-américain The Root, après le séisme qui a frappé la capitale haïtienne en 2010, le Sénégal a proposé à l’UA d’accueillir les sinistrés haïtiens, allant jusqu’à proposer la création d’un nouvel État sur le sol africain. Autant d’éléments qui témoignent d’une filiation directe avec l’Afrique et qui légitiment amplement l’adhésion d’Haïti à l’Union africaine. En outre, Haïti a bien plus de points communs avec la majorité des peuples africains que nombre de pays se situant sur le continent noir. L’appartenance à un même espace géographique n’est pas forcément synonyme de communauté culturelle. Ces petits rappels rendent donc le motif du rejet de la candidature d’Haïti à l’UA pour le moins bancal. L’utilisation de l’article 29 alinéa 1 semble avoir été une ruse pour sauver les apparences.

Les enjeux d’une adhésion de Haïti à l’UA

L’entrée d’Haïti dans une organisation africaine aurait constitué un symbole fort pour ce que Césaire appelait la négritude, un pas en avant vers un panafricanisme global et concret. Outre la dimension symbolique, les enjeux économiques autour de l’adhésion haïtienne étaient prépondérants. Dans le cadre de la coopération sud-sud, des échanges ont lieu entre Haïti et plusieurs pays d’Afrique. L’entrée effective d’Haïti dans l’UA les aurait intensifiés. Les accords concernant les échanges commerciaux accompagnant cette adhésion auraient ouvert le marché américain aux membres de l’UA. De son côté, Haïti aurait naturellement eu accès au marché africain. Pris dans la spirale infernale des catastrophes en tout genre, Haïti est habitué à concéder de juteux contrats liés à l’exploitation de ses ressources contre de l’aide humanitaire. Le pays, en quête de partenariats économiques équitables, voyait donc aussi son adhésion à l’UA comme une belle planche de salut.

Y a-t-il eu des pressions extérieures ?

Faut-il voir dans cet échec une main invisible d’un certain impérialisme moderne jaloux de ses influences autant en Afrique qu’à Haïti ? Il faut rappeler que le bassin caribéen est considéré comme l’arrière-cour des États-Unis. De quoi penser que l’oncle Sam ne pouvait voir d’un bon œil ce rapprochement avec l’Afrique. Alors, question : les États-Unis ont-ils joué dans les coulisses de leur influence pour empêcher cette adhésion ? D’un autre côté, le marché africain est jalousement trusté par des pays y ayant possédé un monopole historique (Belgique, France, Royaume-Uni) et par de nouveaux arrivants (États-Unis, Chine). Aucun de ces pays ne souhaite voir arriver un nouveau concurrent, aussi petit soit-il. Autre point d’importance : l’Union africaine est financée en grande partie par des pays occidentaux aussi a-t-elle le pouvoir prendre certaines décisions en toute autonomie alors qu’elle-même n’est pas indépendante financièrement ? Ironie du sort : lors de ce dernier sommet l’UA, les États membres ont adopté une résolution pour l’arrêt du financement de l’organisation par des pays tiers.

Sa situation politique a-t-elle desservi Haïti ?

Le temps a également joué contre la candidature de la République caribéenne. Le processus initié en 2012, soit un an après le début du mandat du président haïtien Martelly, n’était pas encore arrivé à terme à la fin de son mandat en 2015. L’ex-président haïtien s’est pourtant maintenu au pouvoir jusqu’en février 2016, à la suite de l’échec de l’organisation des présidentielles de 2015. À l’heure actuelle, Haïti n’a toujours pas de président élu. Or, l’Union africaine a horreur de l’instabilité politique. Elle n’hésite pas à sanctionner d’une suspension les pays membres qui peinent à remettre de l’ordre dans leurs affaires politiques. Nous avons les exemples récents des suspensions de Madagascar en 2009, du Burkina Faso en 2015, réintégrés depuis, et de la République centrafricaine depuis 2013. L’Union africaine doit donc composer avec les situations complexes que rencontrent régulièrement ses membres. La situation politique actuelle de Haïti est très probablement une raison qui a pu compter dans la décision de l’UA. Quoi qu’il en soit, c’est un coup dur pour les relations entre Haïti et l’UA. Plus que jamais, un amendement de l’acte fondateur de l’organisation panafricaine s’impose. Haïti est géographiquement loin du continent, mais lui est bien proche par le cœur. Plus que jamais, il est l’heure de concrétiser l’idée qu’Haïti est bien « l’Afrique dans la Caraïbe ».

Source: Le Point

Laisser un commentaire